
Voilà quelques semaines que j’ai décidé de révolutionner ma vie.
Cependant, le premier souffle n’est pas suffisamment puissant pour me décrocher de la branche où je trône. Au début, une petite musique résonnait dans mes oreilles : « Vas-y, lance toi, tu es compétent et travailleur.
Tu peux prendre ta place dans ce monde. » J’ai acheté des livres, lu un peu, écrit des articles, suivi une conférence, et exploré le blogging. L’inertie de ma vie et de mes habitudes est revenue rapidement me replacer dans le sillon du « on n’est pas trop mal ». En tant que cadre, je me défonce dans mon travail, en rognant certainement sur ma famille et mes aspirations.
Je veux être reconnu, être le meilleur. Le meilleur de quoi et pour qui, je ne le sais pas vraiment. Dans ce système, je sais que je ne serais jamais assez soumis pour me laisser caresser la croupe. Nous sommes pris dans un jeu pervers où la carotte est l’approbation des supérieurs, qui nous fait espérer gagner plus. Au fond de moi, je sais que je vaux bien plus que cela.
Quelle est cette foutue corde sensible, accrochée à mon âme, qui pourrait me faire renverser la table, sans regarder en arrière, et vivre différemment ? J’ai toujours pensé qu’un déclencheur viendrait percuter ma vie, mais ce n’est pas arrivé. Ni la mort de proches ni l’impression d’être une merde n’ont été suffisamment forts pour me secouer. Je pense savoir pourquoi : j’ai le syndrome de l’imposteur, le sentiment d’être incapable, celui qui a déjà du mérite d’avoir un poste un peu plus élevé.
Le contexte n’est pas à plaindre, j’ai créé une carapace depuis mon enfance. J’étais trop sensible, révolté, et incompris de ce monde. Dyslexique, mal dans ma peau, en échec scolaire et familial, voilà ma chape de plombs initiale. J’ai colmaté les fissures avec de la violence et de la détermination pour sortir de ma condition. J’ai fait beaucoup de dommages collatéraux dans mon entourage.
Maintenant, j’ai des enfants que j’aime par-dessus tout. J’aimerais tellement être à la hauteur pour eux, pour nous. Cependant, ce déclencheur s’est avéré être un pétard mouillé. Je leur offre peu de temps, malgré tout l’amour et l’intérêt que j’éprouve, je suis capable de les laisser devant la télé le soir pour travailler des heures durant. Mon comportement me dégoûte,
je vaux mieux que cela. J’ai peur, peur de ne plus avoir assez d’argent pour leur payer leurs vacances, restaurant et cadeaux. N’est-ce pas se déshumaniser que de compenser son manque de courage par des biens matériels ? Si je retire tous les filtres, c’est bien de cela qu’il s’agit. La grandeur que ce passage sur terre pourrait m’offrir est simplement piétinée par la salissure de mes peurs fondatrices. J’ai toujours envie d’y arriver, mais ce combat a commencé sans combattant. Il doit se terminer par un combat à mort avec mes peurs, revêtu d’une solide carapace.
Comment ne pas s’écrouler en cassant ses fondations ? Peut-être en acceptant sa faiblesse, ses contradictions, et en reconnaissant avoir eu tort tant de fois. Je n’ai pas été un bon cogneur dans la vie, souvent je l’ai laissée me frapper, mais j’ai toujours su me relever, parfois rapidement, parfois moins rapidement.Le moment viendra où je devrais affronter celui qui me terrorisait depuis le début, et cette personne, c’est moi. Je dois transformer le plomb en or. »
Roland Martinez